L’Après CoVid-19 : comment économiser des milliards grâce à la prévention

Charles A. Rouyer
4 min readMay 13, 2020

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Le dividende de la prévention est un réservoir d’économies, qui renferme d’impressionnants rendements sur l’investissement de départ.

Dans l’après CoVid-19, il faudra enseigner à nos futurs décideurs la valeur du dividende de la prévention.

Mieux vaut prévenir que guérir. La crise sanitaire actuelle du coronavirus vient nous rappeler cette notion importante de santé publique et voir sa version anglophone plus évocatrice encore : « une once de prévention vaut une livre de curatif. »

En termes plus techniques, ce dividende de la prévention désigne les économies que rapportent les investissements en santé publique en amont, destinés à économiser les coûts des maladies ainsi évitées, en aval.

Les présentes dépenses publiques astronomiques pour éviter une catastrophe sociale après le ralentissement économique en raison du COVID-19 — sans parler des nombreuses vies humaines perdues — viennent tristement nous rappeler ce principe de base de la santé publique et de la promotion de la santé : mieux vaut prévenir que guérir.

Les déesses grecques de la santé

Rappelons que les deux déesses de la santé dans la Grèce antique, les sœurs Hygeia et Panakeia, étaient sur un pied d’égalité : l’une responsable de la prévention et du maintien de la bonne santé (d’où le terme « hygiène », y compris… se laver les mains) ; la seconde responsable des remèdes et du curatif (d’où le terme de « panacée »).

De nos jours, la santé positive est certes plus difficile à chiffrer.

En effet, comment prouver qu’une personne n’est pas malade grâce aux mesures de prévention et de promotion de la santé ?

Il faut malheureusement le type de pandémie mondiale actuelle pour arriver à chiffrer ce dividende de la prévention.

Et pourtant…

SRAS-CoV-1 EN 2003

Les Canadiens avaient eu une piqûre de rappel avec la crise du SRAS en 2003. Toronto avait connu une épidémie et une mise en quarantaine planétaire par l’Organisation mondiale de la santé.

La leçon avait en partie été tirée : réinvestir dans nos infrastructures de santé publique. Même si la crise actuelle prouve que cela n’a pas été suffisant.

La mise sur pied de l’Agence de santé publique du Canada était l’une des recommandations du rapport d’expert « Leçons de la crise du SRAS : Renouvellement de la santé publique au Canada », publié en octobre 2003 par Santé Canada, pour éviter l’œil au beurre noir sur la scène internationale et la gueule de bois économique après l’épidémie du SRAS dans la région de Toronto.

Car à l’époque, au printemps 2003, l’Ontario pratiquait la médecine dite de couloir, après, au palier provincial, la prétendue révolution du bon sens du gouvernement de Mike Harris depuis 1995 et au fédéral, la cure d’amaigrissement du ministre des Finances de Jean Chrétien, Paul Martin.

Et pourtant…

ALERTE : TRADÉDIE DE WALKERTON, ON.

Avant cela, le Canada avait eu une alerte grave : la tragédie de Walkerton en Ontario en mai 2000, qui avait entraîné la mort de six Ontariens qui avaient banalement bu de l’eau du robinet, mais contaminée par la bactérie E. coli.

Le premier ministre provincial de l’époque, Mike Harris, avait même dû s’excuser publiquement en 2002 pour la responsabilité de son gouvernement dans la tragédie, après la publication du rapport du juge Dennis O’Connor. La privatisation du système des analyses de l’eau municipale était l’une des causes de cette tragédie de Walkerton.

Ne parlons même pas ici des compressions budgétaires l’an dernier, en 2019, du Premier ministre ontarien Doug Ford, aux programmes municipaux de santé publique en Ontario.

Rappelons au passage que lors de la crise du SRAS, les services de santé publique municipaux avaient géré la crise et évité le pire, sous la direction du Dr Sheela Basrur, hygiéniste en chef de la ville de Toronto à l’époque.

Nulle volonté ici de pointer du doigt telle ou telle famille politique, mais de souligner que le dividende de la prévention peut s’avérer très bénéfique. Et que notre société tout entière semble avoir la mémoire courte.

Et pourtant… Les données sont là.

DES CHIFFRES INCONTOURNABLES

L’an dernier, en 2019, Santé publique Ontario a publié des chiffres éloquents sur le coût des risques de maladies chroniques. Le fardeau économique annuel est de 7 milliards $ pour le tabagisme ; 4,5 milliards $ pour la consommation d’alcool ; 2,6 milliards $ pour l’inactivité physique ; 5,6 milliards $ pour la mauvaise alimentation. Soit près de 20 milliards $.

Alors, comment faire pour tirer les leçons de ces pertes de mémoire collectives, au Canada et ailleurs dans le monde qui traverse une crise sanitaire similaire?

Espérons que l’après-COVID-19 marquera un retour en force de ce type d’analyse économique, politique et sociale.

SE SOUVENIR, DANS L’APRÈS COVID-19

Espérons que cet état d’esprit, cette manière de pensée, dépassera le domaine de la promotion de la santé et de la santé publique, pour s’étendre à l’administration publique, à l’économie, à la politique et permettra aussi de réconcilier les deux solitudes du savoir : les sciences naturelles et les sciences sociales, puisque la santé publique est profondément pluridisciplinaire. À commencer par les universités qui forment les décideurs de demain.

Car oui, une once (30 grammes) de prévention vaut une livre (453 grammes) de curatif, soit des dépenses 15 fois plus grandes. Ou un retour sur l’investissement 15 fois la mise de départ.

Autrement dit, un dividende de la prévention de… 1 500 %…

Charles-Antoine Rouyer (carouyer.com) est chargé de cours à l’université où il enseigne le cours « Communication, santé et environnement » et journaliste indépendant spécialisé en santé urbaine.

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Charles A. Rouyer
Charles A. Rouyer

Written by Charles A. Rouyer

University lecturer and journalist specializing in health & environment / Enseignant à l’université et journaliste spécialisé en santé et environnement.

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